jeudi 29 octobre 2015

2) La petite maison au fond de la lande

Lorsque vous arrivez sur une île inconnue avec l'intention d'y séjourner sans vous ruiner,  trouver un abri sera votre première mission. Si vous désirez seulement y passer quelques jours, un arbre aux branches généreuses à l'abri de la vue des importuns fera votre affaire. Vous n'aurez qu'à planter votre tente sous le feuillage et profiter du ressourcement qui vous sera ainsi offert. Mais si vous souhaitez rester plus longtemps, dénicher un abri en dur s'avérera plus intéressant pour protéger vos effets des pluies éventuelles. 

Après une agréable première nuit passée sous un mélèze accueillant, je me mis en tête d'explorer l'île, dans l'espoir de tomber sur une cabane voire sur une maison abandonnée. Je me sentais en pleine forme physique. Mes voies respiratoires n'étaient plus encombrées en permanence comme en Belgique. La nuit avait été bien douce, avec une température estimée de seize degrés et ma couchette de fortune avait été rendue confortable par un sol d'écorces qui conserve bien la chaleur.

J'avais levé le camp assez tôt et je désirais gagner le centre du bourg le plus proche afin de dénicher une carte topopgraphique. J'y parvins après quarante minutes de marche. 

Le bourg était encore bien animé, l'été ne s'achevant ici qu'avec le mois de septembre. Je dénichai facilement une carte topographique dans une librairie en me présentant comme un randonneur. Sur un banc, en mangeant mon taboulé, je me mis à étudier la carte. Une première analyse m'amena le soir même près d'une ancienne abbaye où un baron local avait décidé de privatiser un morceau de plage avec l'aval de l'État. 

C'était une fausse piste. Elle m'offrit certes de passer une deuxième nuit dans une tour de garde abandonnée en face de l'Océan, mais me confronta à un danger important. En effet, l'accès à cette tour de garde se faisait par chemin unique et débouchait près d'un petit hameau de secondes résidences. Je pouvais donc être surpris facilement. 

Je payai mon imprudence dès le lendemain, après avoir levé le camp. Il était huit heures du matin lorsqu'une berline bleue et blanche, un peu vieillotte, me stoppa dans mes mouvements. A bord, il y avait deux gendarmes : un homme au volant et une femme sur le siège passager. Je ne paniquai pas parce que j'estimai ne rien avoir fait de mal.  Aussi, je décidai de rester souriant. Sans surprise, ce fut l'homme qui commença : 

" - Alors, Monsieur, on se paie une petite fugue ?
- Moi ? Non, je vais camper de bonne heure ! Un peu de marche puis je me présenterai à l'entrée de plusieurs campings.
- Ah bon... Parce que vous avez tout l'attirail de quelqu'un qui plante sa tente un peu comme ça n'importe où. Vous savez que ça peut vous coûter très cher, non ?
- Dites-moi.
- Eh bien voilà, le département l'interdit et les amendes sont fortes. Ça commence à partir de plusieurs centaines d'euros.
- Très bien. Ça me conforte dans l'idée d'aller dans un camping...
- Et si je vous demande vos papiers d'identité, ça ne vous pose aucun problème.
- Non, je vais vous les présenter.
Là, le gendarme regarda sa montre et me dit :
- Bon, ça va, je vous crois. Au revoir, Monsieur.  "
 
Cette rencontre inopinée acheva de me convaincre que je devais me trouver un abri au plus vite, à l'écart des secondes résidences, et dans un endroit où aucun homme en uniforme ne viendrait fouiner. 

L'île est un endroit magnifique, dont chaque paysage est un émerveillement, digne d'être immortalisé sur une carte postale. Mais la flambée des prix de l'immobilier a fait que seule une certaine gente a eu l'occasion de s'y installer récemment. Dès lors, ce petit coin de paradis est aussi une zone protégée dans laquelle la gendarmerie s'ennuie et arrête, selon ses envies, des individus qui ne correspondent pas au stéréotype du vacancier venu claquer son fric sur l'île... 
Ne voulant pas être un passe-temps pour eux, je me résolus alors à me rendre dans un endroit où je serais seul au monde : la lande de l'Ouest, une étroite bande de terre longue de six kilomètres, coincée entre la plage et un dédale de dix kilomètres carrés formé de marais salants. Traverser ces marais était l'un des seuls moyens d'y accéder et ce ne fut pas de tout repos. Je me mis en route après avoir fait des provisions au Lidl du coin. Mon sac était lourd et ce fut ma première véritable épreuve d'endurance. 

Les marais salants sont parsemés d'une myriade de chemins de terre non carrossables, tournicotant tous les cent mètres et finissant en général par s'effacer entre deux étendues d'eau. Même la carte, pourtant récente, s'y perdait parfois, à tel point que je fus obligé de refaire moi-même un plan. D'après échelle, il n'y avait que huit kilomètres entre le bourg et cette zone de l'île, c'est-à-dire une heure et demie de marche. Je mis facilement deux heures et demie tant je dus m'arrêter plusieurs fois, consulter ma carte, reprendre mon souffle, me fier à la position du soleil et parfois hélas, rebrousser chemin.
J'étais sur le point de désespérer, de me dire que je ne trouverais sans doute rien d'intéressant là-bas, quand je vis filer plusieurs  lapins de garenne, vers ce qui semblait être un bois. Je suivis ces petits animaux et j'arrivai bientôt hors d'haleine dans la lande de l'Ouest qui ressemblait à peu près à ce que serait la surface de la lune si elle était couverte de conifères. 

Le ressac des vagues tonitruait sur ma droite tandis que sur ma gauche, des cyprès de Lambert à moitié déterrés par une tempête conféraient un aspect sinistre à l'ensemble.

Je marchai un quart d'heure de plus sur un sol sablonneux dans lequel j'avais tendance à m'enfoncer, avant d'apercevoir une première habitation. Il s'agissait d'un pavillon de soixante mètres carrés au sol dont les portes et les fenêtres étaient hermétiquement clos par des volets en bois. Je m'approchai et je compris qu'il y avait un verrou. Je n'insistai pas : j'étais ici dans une optique de non nuisance. La maison était entretenue, trop petite pour servir de résidence à d'infâmes capitalistes, et je n'aurais pas aimé retrouver la porte de mon logement forcée si je retournais un jour en Belgique. 

J'abandonnai donc cette première construction et je persistai sur mon chemin. Cinq cents mètres plus au Sud, ma carte me renseignait un autre petit carré noir, le seul de tout le parcours. Je fus contraint de passer devant au moins trois fois avant de comprendre où le bâtiment se trouvait exactement. Il était en effet caché derrière un minuscule bosquet même si le monticule sur lequel il était dressé trahissait son toit qui dépassait de la cime des arbres. 

Je m'approchai. C'était une minuscule construction de trois mètres sur cinq, épaisseur des murs comprise. Il n'y avait plus de porte, juste un trou. La façade était mangée par les ronces sur lesquelles poussaient encore quelques mûres, assez acides au goût. La toiture avait été en partie arrachée, certainement par une tempête car il s'agissait de la partie face à l'océan. Aucune trace de passage humain à l'intérieur hormis cette célèbre citation de Nietzsche gravée sur un mur : "Deviens ce que tu es". Il y avait aussi un reste de cheminée et une meurtrière. Le tout formait une unique pièce de vie qui était vide. 




J'ouvris mon sac et je commençai à monter la tente. Le sol était rocailleux et froid. Le soir tombait à peine mais j'étais déjà exténué. Je m'effondrai bien vite et je dormis de vingt heures trente à deux heures du matin. Les jambes encore endolories, je bus quelques gorgées de rhum afin de sombrer à nouveau dans le sommeil. Vers sept heures, je fus réveillé pour de bon par quelques gouttes de pluie, bien vite chassées par un franc soleil. 

Je me fis du thé froid dans une bouteille en plastique, je mangeai un demi-paquet de biscuits et je réfléchis à ce que je pourrais bien faire de cet abri. Il serait mon camp pour un petit moment mais il était impossible d'y demeurer durablement avec la toiture dans cet état. Après une ronde dehors, je réalisai que provisoirement, il me suffirait de clouer quelques planches de bois, là où il y avait le trou d'environ un mètre sur quatre. Je n'avais pas besoin de beaucoup de matériel et dame nature pourrait mettre à ma disposition quelques branches. Ce n'était pas bien haut, plus ou moins deux mètres vingt. J'avais juste besoin d'une chaise, de clous et d'un marteau. Mais le jeu en valait-il la chandelle ? 

Je dépliai ma carte. Pour ce qui était d'échapper aux gendarmes, l'abri était parfaitement positionné. Je pouvais même entreprendre d'acheminer du matériel depuis le magasin de bricolage du bourg sans que personne ne me voie étant donné qu'un réseau de chemins de terre s'enfonçait dans le marais salant dès l'arrière dudit magasin. Mais aurais-je le courage de faire ainsi des allers-retours aussi longs plusieurs fois par jour afin d'avancer dans la réhabilitation de ce logement de fortune ? 

Au moins, je pouvais laisser ma tente et mon sac de couchage sur place afin de me sentir plus léger. Il n'y avait pas âme qui vive dans les parages, je ne risquais donc aucun vol. 

Je partis pour le bourg afin de répondre à certaines de mes interrogations. La route fut tout aussi rude que la veille. Je dus faire plusieurs essais avant de retrouver la trace du chemin de terre caché par les fourrés. Quelques lapins se prirent à me narguer, m'entraînant sur des pistes sans retour. Je fus également confronté à un ennemi fort incommodant : le moustique. La petite pluie du matin avait en effet excité ces bestioles en pleine période de reproduction. Des essaims entiers fondirent sur moi. Je m'en tirai avec des dizaines de piqûres sur tout le corps. Heureusement, n'étant pas allergique, ce ne furent que quelques gourmes bénignes. 

Je mis cette fois une heure quarante pour atteindre l'agglomération. J'avais rarement connu de chemin aussi pénible. Je décidai de m'offrir un peu de bon temps pour me récompenser de ces efforts. Aussi, je passai la journée sur place, en quête de bières inconnues. Je fis ainsi la connaissance de l'embuscade, une délicieuse bière au calvados issue d'une collaboration belgo-normande. Ensuite, je marchai le long des plages où je m'offris des séances de lecture et de méditation, le temps d'une halte. L'air était doux, le ciel ensoleillé et je me sentais libre. 

Je voulus rentrer avant la tombée de la nuit afin de ne pas perdre mon chemin. Hélas, un tracteur s'était aventuré dans les marais salants, créant de nouveaux chemins qui ne menaient nulle part. J'arrivai pour le coucher de soleil auquel j'assistai derrière une barrière censée protéger la dune des tempêtes hivernales. Cela véhicula à mon esprit une image forte, celle des barreaux d'une société qui nous empêchent de communier pleinement avec la nature. J'enjambai la barrière pour voir les dernières feux de l'astre qui nous quittait. J'avais un peu de tabac sur moi et l'envie me vint de rouler une cigarette. Elle se consuma en même temps que les restes du soleil. La vie est si courte. Pourquoi mes congénères méprisent-ils autant leur liberté et celle des autres ? 

Je retournai non sans peine à la maisonnette abandonnée. Il me fallut écarter plusieurs arbustes pour deviner son ombre. Mes nuits furent de plus en plus courtes, à mesure que je me laissais gagner par l'apaisement que procure la vie dans un cadre préservé. C'est aussi durant cette période que j'écrivis le plus, adressant des lettres interminables à des fantômes. 

Lorsque je retournai au bourg pour m'approvisionner quelques jours plus tard, c'était la panique. Les inondations sur la Côte d'Azur avaient mis le pays en émoi. On ne parlait plus que de ça. Des météorologues prédisaient que le vent allait souffler le long de toutes les côtes, depuis le bassin méditerranéen jusqu'à la Manche ! Je présumais qu'il y avait pas mal d'exagération là-dessous mais je me dis que les bourrasques annoncées permettraient d'éprouver ce tas de pierre à la toiture défectueuse sous lequel j'avais trouvé refuge.
Ce fut sans appel. Cette maisonnette était aussi mal exposée que je ne le craignais. Le vent ne devait pas souffler à plus de soixante kilomètres heure et pourtant, c'était assez pour qu'il s'engouffre dans le trou de la toiture et soulève ma tente. 

Je réalisai que c'était la raison pour laquelle la maisonnette avait perdu une partie de sa toiture et qu'on avait jugé bon de l'abandonner. 

Je n'en doutai plus : la vie ici s'avérerait laborieuse. Des journées entières de travail pour réhabiliter le petit bâtiment pourraient être vouées à néant si la météo venait à se montrer capricieuse. 

Je me résolus donc à faire mon deuil de ce premier projet d'habitat alternatif et à en développer un autre dont je vous entretiendrai dans un prochain carnet.

mercredi 21 octobre 2015

1) De l'importance du choix d'un milieu favorable.

Retourner à une vie plus simple, en harmonie avec la nature, exige de choisir une région qui convienne à nos besoins et à nos ressentis. J'ai choisi la côte Nord du Golfe de Gascogne qui présente bien des aspects intéressants, tant du point de vue des ressources disponibles que du climat particulièrement clément.

Lorsque l'on fait le choix d'un mode de logement alternatif, il faut garder à l'esprit que le dedans et le dehors se confondent souvent. C'est vrai pour mon petit pied-à-terre actuel de douze mètres carrés et cela le fut encore plus les dix jours où j'ai vécu en tente, dans une petite construction délabrée abandonnée depuis des années.

Cette expérience de vie est riche d'enseignements. Elle est en totale opposition avec l'habitat idéal promu par la société occidentale. Celui-ci permet de vivre sans sortir de chez soi, de s'encroûter dans une ambiance tiède où tout est à disposition. On peut ainsi passer l'hiver sans même ressentir le froid du dehors, pourvu que l'on vive dans un de ces logements dernier cri. Le prix à payer pour ce confort parfois asphyxiant est énorme : un enchaînement à des charges impayables et a fortiori au monde du travail, ce qui a pour conséquence d'éloigner un grand nombre d'individus de leurs choix de vie initiaux et de leurs aspirations. 

Une tente, une caravane ou même une yourte sont a contrario conçus pour permettre d'y manger, d'y dormir et d'y passer un agréable moment ; pas pour y vivre en vase clos 24h/24 et c'est tant mieux ! Elle est bien pauvre l'existence de celui qui de la vie, ne connaît qu'une succession de murs.
J'ai toujours considéré que la prison dorée était l'une des principales formes d'oppression que s'imposent eux-mêmes les gens, sous le double effet de la pression sociale et des discours lénifiants des promoteurs immobiliers et des marchands de sable en tout genre.

Cette spirale délétère amène également au développement d'une conception fausse de l'environnement qui est vu comme un décor destiné à nous servir, au sens productiviste du terme. Cette imposture a les effets que l'on sait : un pillage des ressources et une pollution généralisée. Elle fait montre également d'une profonde imprudence. Quiconque a déjà souffert de mauvaises récoltes, des ravages d'une tempête, d'une inondation ou d'une attaque d'animaux sauvages sait que la nature n'est pas un décor inerte.

Nous sommes des habitants de la terre comme les autres. Nous sommes autant des êtres soumis à ses fluctuations que des bénéficiaires de ses richesses.

Nous devons considérer aujourd'hui que la connaissance l'environnement est davantage une source de progrès humain que le repli béat derrière la croyance que l'habitat moderne nous protégera de toute catastrophe naturelle. C'est pourtant là l'opinion implicite d'une majorité silencieuse, malgré les derniers cataclysmes qui ont sévi avec de plus en plus de violence.

Un habitat léger, mobile, provisoire ou alternatif sera bien évidemment lui aussi soumis aux perturbations climatiques et à l'épuisement des ressources naturelles.

Je me suis donc mis en quête du milieu naturel le plus favorable possible. Très rapidement, mon choix s'est porté vers le littoral de l'Ouest français (Morbihan, Loire Atlantique, Vendée, Charentes, Aquitaine et îles avoisinantes). La mer et ses plages,  aujourd'hui réduites à des colonies pour touristes dans bon nombre de régions, fournit un air sain, riche en azote et permet le développement d'une faune et d'une flore dont l'humain peut, avec respect, tirer parti pour satisfaire ses véritables besoins. 




Partisan du retour à une alimentation qui soit cohérente avec la façon dont notre organisme est conçu (nous avons la mâchoire et l'appareil digestif des grands singes frugivores), j'ai décidé que le produit de mes récupérations d'invendus sur les nombreux marchés locaux - souvent des fruits, des légumes, du pain et du fromage  - constituerait l'essentiel de mon alimentation. À l'occasion, je complèterai ce régime par des fruits de mer dont les eaux de l'Atlantique regorgent. La pêche au filet y est légale et facile à maîtriser. Ici, la casserole de moules est servie au bistrot à partie de 9€ sur le littoral contre 22€ à la mer du Nord. Je peux vous certifier qu'elles n'en sont pourtant que meilleures.

Reste l'élément essentiel : l'eau.  Sur le littoral Atlantique, les toilettes publiques sont nombreuses (une dizaine dans la commune où je transite actuellement) mais rien n'indique que la consommation d'eau du robinet y est sans danger. Pour l'instant, je m'approvisionne en magasin et je complète souvent par des achats de thé, de bière et de vin. Je songe néanmoins très sérieusement à m'équiper d'un système simple de filtrage de l'eau des toilettes publiques ou accessoirement de l'eau du puits qui se situe dans un marais à proximité.

Depuis que je suis arrivé dans l'Ouest, je n'ai jamais regretté un seul instant le milieu que j'ai choisi pour expérimenter une vie alternative et pouvoir prouver ensuite à mes semblables, je l'espère, que la liberté n'est pas qu'une chimère.
L'air salubre du littoral m'a guéri d'une allergie affectant mes voies respiratoires et d'une fatigue chronique accablante. Je peux aujourd'hui marcher plus de vingt kilomètres par jour et respirer à plein poumons. La luminosité généreuse de l'Ouest (plus de 2000 heures d'ensoleillement par an contre un petit 1500 en Belgique) a également diminué les manifestations de la dépression saisonnière qui s'était imposée à moi comme à pas mal de belges, en raison d'un mode de vie "en tunnel", c'est-à-dire un quotidien subi au cours duquel les horaires de travail et de la SNCB nous privent de la lumière du jour, déjà si rare dans un pays où le ciel est souvent gris.

Beaucoup croient à tort que le climat des côtes de l'Atlantique et des mers adjacentes ne peut être que frais et humide. Or, de l'extrême-sud de la Bretagne à la Gironde, l'été est sec et aucun mois n'enregistre de pluviométrie record. De plus, il existe des micros-climats encore plus favorables sur les îles.

L'école nous enseigne, à coup de larges schémas, que toute la façade Atlantique de l'Europe se trouve dans une même zone climatique, qualifiée de tempérée océanique. Cela implique, par exemple, que le Nord du Portugal et l'Ecosse devraient partager de nombreuses caractéristiques climatiques. Or, mis à part que ces régions se trouvent proches de l'Océan et qu'elles n'appartiennent ni aux sphères tropicales ni aux sphères polaires, il n'y a pas grand point commun entre elles. Sans aller aussi loin, il m'est possible de comparer le climat des plaines belges  et celui, dit aquitain, des côtes du Golfe de Gascogne. Le premier est frais et humide une majeure partie de l'année avec de brusques changements de temps (courtes périodes de canicule en été ou de froid bien vif en hiver) tandis que le second est la plupart du temps, doux, ensoleillé et sans excès, ce qui profite à une végétation parfois franchement méridionale : pins des landes, palmiers et mimosas s'épanouissent là où je me trouve.

Depuis que j'y suis arrivé il y a trois semaines, la température au zénith oscille entre 15 et 20 degrés et le soleil a brillé chaque jour. Pour moi qui suis incommodé tant par l'humidité que par la chaleur, c'est le type de temps qui me convient parfaitement. La nuit, la température est rarement descendue sous les 10 degrés. Un soir, il m'a fallu enlever mon pyjama et ne laisser que ma chemisette tant l'air stagnant était presque chaud.

Les habitants m'ont appris que l'hiver était tout aussi clément, le même que sur la côte d'Azur paraît-il, c'est-à-dire un hiver court durant lequel la neige et les gelées sont rares. Ainsi, il n'y aurait pas de nécessité de chauffer son logis en continu. En revanche, les étés resteraient modérés contrairement au Sud français. Au lieu d'alterner des périodes de fraîcheur humide et de chaleur accablante comme en Belgique, les températures seraient souvent homogènes avec une vingtaine de degrés et du soleil. De surcroît, l'air serait rafraîchi par le bon air du large. Que demander de plus ? 

Le climat idéal n'existe pas pour autant. Ainsi, le seul jour où j'ai vu se profiler la pluie fut une expérience singulière. Un nuage noir est arrivé, poussé par la vent et il m'a fallu trouver abri très vite, tant cela tombait dru. Je suis rentré dans un café à peine une minute plus tard et j'étais déjà complètement trempé.

De même, la douceur profite à certaines créatures au comportement désagréable. Ainsi, après la forte averse, j'ai été attaqué dans la lande par une nuée de moustiques qui m'ont laissé sur le corps des dizaines de piqûres. Des guêpes continuent aussi à rôder près des poubelles en automne et les habitants m'ont rapporté avoir vu des vipères dans les hautes herbes. Il s'agirait de la vipère aspic dont la morsure peut être mortelle. 




Par ailleurs, ce climat qui bénéficie pleinement du courant marin chaud du Gulf Stream, peut aussi en subir les désagréments. Ainsi de violentes tempêtes venues du Sud peuvent balayer la côte et les îles.

Vous le comprendrez dans le prochain épisode qui évoquera la réhabilitation impossible d'une maisonnette abandonnée dans la lande, celle qui m'a offert un abri durant dix jours.








jeudi 15 octobre 2015

Plutôt survivre que sous-vivre



Je me reconnecte après un très long silence.


Je tiens à vous dire que je suis toujours en vie et que je me porte même plutôt bien.

Je ne suis plus sujet à cette fatigue chronique qui m'accablait ni même à cette allergie qui enserrait mes voies respiratoires le matin et le soir.


En Belgique, j'étouffais et ce n'était pas qu'une simple question de pollution et de climat !


Pour des raisons que seuls quelques-uns connaissent, ma vie était un calvaire qui s'est empiré au cours des derniers mois.


Je n'ai pas l'intention d'exposer en détails en quoi consistait cette situation inextricable. Si je le faisais, je vouerais aux gémonies plusieurs personnes, des gens qui sont au plus mal et n'ont semé que le chaos autour d'eux, sans même s'en rendre compte et parfois, avec de bonnes intentions de départ.


Néanmoins, je ne peux pas me taire, sinon ce sera moi le salopard. J'ai laissé des lettres derrière mes pas mais elles demeurent incomplètes. Il s'est passé beaucoup de choses depuis et il me faut maintenant réagir à ce dont je viens de prendre connaissance sur Internet et les réseaux sociaux.


J'ai une énorme rancoeur au fond de moi car beaucoup de temps et d'énergie m'ont été enlevés. J'ai toutefois pris du recul par rapport à ce qu'il s'est passé au cours de ces derniers mois et j'ai décidé de ne pas alimenter la spirale de la frustration et de la haine, cette même spirale qui a failli me détruire pour de bon.


J'en ai fini avec tout ça.


Le jour de mes vingt-huit ans est survenu un enchaînement de faits désagréables ainsi qu'un ultime coup de couteau qui m'ont fait agir par impulsion.


Mû par une volonté irrépressible d'échapper à un étau qui se resserrait toujours plus, j'ai pété les plombs en gare de Tournai et je suis parti pour la France. Je voulais gagner les contrées sauvages de l'Ouest, me retirer au plus loin, mettre mes derniers souhaits par écrit et attendre que la mort m'emporte après une overdose de rhum. J'ai immédiatement rédigé les courriers que ma maman, Lily, et mon chef de service ont dû recevoir quelques jours plus tard. J'ai ensuite dû faire une halte à Nantes car, l'heure étant avancée, il n'y avait plus de départ pour les îles avant le lendemain.


Cette halte m'a sauvé. En centre ville, un jeune homme m'a appelé. Il m'invitait à prendre un verre dans un café littéraire où l'on écoutait les classiques de la belle chanson française engagée après un concert alternatif. Il y avait une ambiance, des discussions intéressantes, c'était un peu comme un Coin aux étoiles qui aurait réussi à exister à plein temps. Après une demi-heure dans ces lieux, je n'avais plus envie de me tuer, ou en tout cas pas tout de suite. J'ai été hébergé pour la nuit par le gars qui m'avait payé à boire. Ensuite, je suis parti le lendemain vers un décor de carte postale.


Durant deux jours, j'ai exploré l'île où j'ai atterri. J'ai dû marcher au moins cinquante kilomètres avant de trouver où j'allais établir mon camp. Finalement, j'ai choisi une petite construction abandonnée d'à peine quinze mètres carrés au sol. La toiture avait été à moitié arrachée par une tempête. Autour, il n'y avait qu'une longue lande coincée entre une plage sauvage et des marécages. Je n'y ai croisé personne.


Seul face à ma conscience, j'ai tenu là-bas près d'une semaine, avec des galettes de riz, du thé et une salade bio qui m'avait été offerte à Nantes. J'ai bien acheté un peu de pain, de fromage et de vin dans un LIDL à 10km de là mais j'aurais pu faire sans.


Au cours de cette longue introspection, j'ai compris que l'essentiel de mon mal-être venait d'un manque de confiance en moi évident qui s'était constitué pendant l'enfance et renforcé à l'adolescence. J'ai grandi dans un milieu où la violence était latente et pouvait se manifester à tout moment, sous des formes parfois traumatisantes. J'ai senti dès mon plus jeune âge que j'avais le devoir d'y mettre un terme. Il en a découlé une peur de l'échec que beaucoup ont instrumentalisé à leur propre profit.


Avant mon départ, j'avais un poids énorme sur les épaules. Suite à plusieurs échecs personnels importants, je ne pouvais plus avancer alors que ma situation exigeait au contraire que je m'active sans repos. (Et je l'ai fait, passant du manœuvre au négociateur de prêts, du psychologue lui-même névrosé à l'organisateur d'événements, de l'auteur au fonctionnaire nonchalant).


J'ai essayé en vain de faire comprendre, pendant neuf mois, que les choses ne pouvaient plus durer comme ça. Mes tentatives d'explications ont été totalement contre-productives : je n'ai récolté à chaque fois qu'un poids supplémentaire... C'était une chaîne sans fin, je subissais tout de A à Z, travaillant plus en dehors du bureau pour réparer les erreurs des autres que sur mon propre lieu de travail !


Je suis conscient d'avoir causé énormément d'inquiétude en ayant choisi, faute de mieux, de disparaître. Je le regrette. Mais tout allait finir par exploser. C'était quasi mathématique, une simple question de potentiel nerveux. Qui connaît les tenants et les aboutissements de cette affaire savait que ce n'était qu'une question de temps.


Quand je suis parti mourir en homme libre, j'ai pensé : "C'est ça ou le meurtre, quatre murs ou quatre planches."

Or, je suis bien incapable de tuer autre chose qu'un moustique. Ce serait reproduire la violence que j'ai combattu et puis fui.


Ma nature profonde ne peut pas fluctuer avec les circonstances. Je ne suis pas de ceux qui suivent les mouvements de foules, le sens du vent et la mode des plumes dans le cul après celle des flèches dans le nez.


Je suis ravi que le souhait que j'avais exprimé par écrit ait finalement été respecté : qu'on me laisse filer et qu'on suspende toute recherche.


Il faut dire que c'était assez mal parti. J'ai frissonné quand j'ai réalisé que j'étais à la fois pisté comme un Pokémon rare et traqué comme un fugitif. Encore plus au moment où je me suis rendu compte que la Police, cette défenseuse de la veuve, de l'orphelin et désormais du libertaire en maraude, a dû être très vite mise au courant de ma disparition. On n'aurait même pas hésité à envoyer un combi de flics à Notre-Dame-Des-Landes, là où des militants courageux vivent la vraie vie. Je suis perplexe, d'autant plus que tout cela partait de bonnes intentions...


Quand je me suis reconnecté, j'ai vu des milliers de partages, de commentaires, de messages de soutien, la plupart émanant d'inconnus, de personnes qui n'avaient pas la moindre idée de qui j'étais, de ce que j'écrivais et faisais. J'ai lu des polémiques sur mon libre arbitre alors qu'au fond seules quelques rares personnes savent de quoi il en retourne. J'ai bien lu cent fois le mot « Pizza hut », alors que je n'y ai mis les pieds que trois minutes, deux heures avant de prendre ma décision de disparaître. En revanche, il n'a été fait mention nulle part de mon pétage de plomb en gare de Tournai, ce qui au fond m'amuse, c'est un peu une comme une faille dans la matrice, une trouée dans ce camp de consommation à ciel ouvert qu'est la société actuelle. J'ai aussi noté qu'on m'avait aperçu dans des endroits où je ne suis jamais allé, comme Froyennes ou le centre de Tournai quelques jours après ma disparition.


Ce qui me laisse encore plus perplexe, ce sont les réactions des gens. Des personnes que j'avais définitivement rayées de ma vie sont réapparues pour s'exprimer sur l'affaire, certaines se sont même indignées de ne pas recevoir de nouvelles, alors qu'elles ne m'en ont pas donné depuis des années. D'autres ont avancé une filiation ou une amitié qui m'était inconnue et que j'aurais peut-être apprécié de nouer. D'autres encore, que je tiens en estime, se sont apparemment tues, peut-être par décence, une position que je ne peux leur reprocher. Tout cet emballement a duré plusieurs jours et puis s'est tari. C'est incompréhensible pour moi qui me suis senti totalement seul au monde avant d'être littéralement soufflé vers l'Ouest par une impulsion émancipatrice. Si on m'avait laissé poursuivre mes études, j'en aurais peut-être tiré un quelconque savoir théorique, une sociologie du drame par lequel la solidarité renaît dans un monde où elle est paradoxalement de plus en plus absente. Ma « Petite Femme aux cigarettes » abordait déjà ce thème. J'espère pouvoir enfin reprendre mes activités littéraires et approfondir ces réflexions.

Mais pour le moment, les mots ne viennent pas. Parce que je suis triste d'avoir dû en arriver là, d'avoir dû faire ce choix. C'est à Mons, en Belgique, que j'étais en danger. Au moins trois personnes savaient que j'étais à bout de nerfs, m'avaient entendu sangloter et implorer d'être libéré de cette prison. Je ne demandais qu'à être écouté et que l'on cesse de m'ajouter du poids en plus sur mes épaules de plus en plus courbées. Je ne suis pas un comédien, quand je dis “Je n'en peux plus”, c'est que je suis vraiment à bout, quand j'ajoute que “j'ai envie de foutre le camp”, c'est qu'il y a des chances que je le fasse pour de vrai.


Puisque ce n'est pas clair pour tout le monde, il me faut préciser que le Coin aux étoiles n'était pas que mon idée à l'origine, que je me suis lancé dans cette aventure uniquement parce que j'avais l'assurance que mon associé et ami d'alors s'occuperait de toute tâche de gestion et d'organisation et que je ne serai concerné quant à moi que par la partie administrative du travail à effectuer en ma seule qualité de trésorier. Un troisième administrateur se chargerait quant à lui de la communication. Je n'invente rien, je renvoie à la consultation des statuts de l'ASBL pour toute personne qui douterait de mes propos. J'ajouterais que je travaillais alors dans la région et que les bruits de couloir m'avaient appris que j'y resterais, mais derrière l'absence de mutation initialement prévue puis suspendue se cachait en fait, apparemment, un abus de pouvoir politicien qui avait profité à tous pour mieux cacher qu'il visait à faire obtenir un avantage à un seul agent. La Justice ayant agi, j'ai donc été muté avec tous les autres de ma session. En tout cas, c'est ce que m'ont expliqué d'autres bruits de couloir.


Je l'ai dit, je ne vais pas rentrer dans les détails parce que je n'ouvre aucun procès. Il faut cependant savoir que ce qui a été investi dans le Coin aux étoiles émane en majeure partie d'un surmenage que je n'ai nullement choisi mais qui m'a été imposé et de mes finances personnelles, car je ne dépense presque aucun argent pour mes besoins personnels.


Je ne serai pas opposé à ce que ce projet survive, le temps que je pourrai encore le financer, loin de là ! Je sais que les soirées punks et les présentations-débats ont eu beaucoup de succès en général et qu'il fallait souvent se serrer. Quand on propose ce qui manque, la difficulté n'est pas d'attirer un public mais de constituer une équipe saine et solide pour gérer tant la soirée en elle-même – la pointe émergée de l'iceberg – que l'acheminement des stocks, le nettoyage, l'agencement de la salle, la gestion de la caisse et le réglage de la sonorisation. Et pour ça, il faut des gens qui agissent vraiment par conviction. Les gens qui, consciemment ou non, détourneront le projet à des fins personnelles, ceux qui voudront faire de ce lieu un endroit de débauche, ceux qui souilleront les principes libertaires d'autodiscipline, ceux encore qui croiront tout savoir et voudront tout diriger, n'apporteront que stress et frustrations.

Bref, si l'aventure vous tente, j'attends vos lettres de motivation pour prendre le relais !


En attendant, Tout cela est terminé. J'ai décidé de débuter une nouvelle vie où je cesserai de tout subir, de travailler dans un domaine qui n'est pas le mien pour subvenir aux besoins des autres, d'accepter de ne plus voir la lumière du jour pour le confort des autres, d'avoir des problèmes de conscience pour les autres encore, de devoir mettre entre parenthèses tout ce que je suis pour les autres enfin.


Ces quelques jours de vie sauvage m'auront appris que je n'ai besoin que de thé, de pain, d'un carnet, d'un stylo à bille et d'une seule tenue de rechange. Le reste m'est superflu.


A ceux qui me verront comme un égoïste, je répliquerai que c'est au contraire ma trop grande générosité qui a causé ma perte. Je l'ai dit plus haut : je ne vais pas vous en livrer les détails mais ceux qui me connaissent réellement me feront confiance.


Je sais que certains voudront régler leurs comptes. Moi, je m'en tape. L'argent est le squelette du capitalisme et j'aimerais le réduire en cendres. Mais si on y tient, alors il ne faut pas oublier que je sais compter et que je sais me défendre, que mon existence a d'ailleurs été dévolue à ça et que je suis donc parfaitement au courant de qui a une dette envers qui. Je peux déjà vous dire que l'addition serait salée. On arrête là, non ?


Au fond, ce qui a nourri en moi cette conviction que plus rien ne serait possible à Mons, c'est cette violence quasi quotidienne dans laquelle je vivais, violence qui me causait une souffrance sans nom, à la fois d'être impuissant face à ce mal qui défigurait la beauté d'un être cher et à la fois de me voir infligé au quotidien une agression du même ordre que celle qui m'avait poussé à fuir le domicile parental à vingt ans sans un franc en poche.


Il paraît qu'on réécrit toujours la même histoire. Je n'ai pas trente ans et je refuse de vivre sur ce disque rayé des semaines routinières.


Je suis désormais un être libre.


Je tiens à remercier les gens qui m'ont soutenu avec bienveillance, ceux qui ont cru en moi. Sans vous, je serais mort. La dépression et le rhum auraient eu raison de moi sur l'île. Là, Mère Nature a décidé que je devais vivre.


J'ignore qui est derrière l'idée mais j'aime beaucoup les dernières images postées sur la page communautaire dédiée à ma disparition – et à ma traque - celle du sentier qui s'efface dans un flou artistique verdoyant et celle des tennis à coté de deux flèches indiquant des directions contraires. Qui sait, ces chemins de traverse nous amèneront peut-être à nous revoir.


La bise aux amis.


Florian




Petite playlist qui illustre bien mon voyage  (si vous ressentez les paroles) :



The Police – Every breath you take



Nine Inch Nails – The great below


Staind – Outside



Thrice – Atlantic